Vers la relance d’Air Guinée ? « Pratiquement beaucoup de personnes ont disparu dans cet espoir », révèle Pr Dieng (entretien exclusif)
Après la proclamation de son indépendance le 2 octobre 1958, la Guinée a pratiquement rompu avec la puissance coloniale qu’est la France. Le pays dirigé par feu Ahmed Sékou Touré avait son destin en main pour faire face aux défis d’alors. Pour montrer à la face du monde qu’elle n’a pas décidé d’être indépendante au hasard, la Guinée va enregistrer une première prouesse dans le domaine de l’aviation. Elle s’est dotée de sa propre compagnie aérienne dénommée Air Guinée. Quand les avions de cette compagnie décollaient et atterrissaient, c’est tout un peuple qui se sentait fier à l’époque. Une fierté qui n’a pas résisté dans le temps, puisque la compagnie a été contrainte de fermer par le régime de feu Général Lansana suite aux mesures d’ajustement structurel des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Depuis lors, les régimes successifs ont tenté, chacun à sa manière, de redonner vie à cette compagnie. Pas plus tard que mercredi, 30 juillet 2025, le ministère guinéen des Transports a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec Gewan Holding dans le cadre de la relance de la compagnie Air Guinée.
Cette fois-ci est-elle la bonne ? Quel espoir que cela peut susciter au sein de l’opinion nationale ? C’est entre autres questions que nous avons posées au Professeur Bonata Dieng, ancien ambassadeur de la Guinée en Afrique Centrale. Dans un entretien exclusif qu’il a accordé à notre rédaction, cet ancien haut cadre de l’administration guinéenne qui dit avoir une vie avec Air Guinée, est revenu d’entrée sur la genèse de cette compagnie nationale : « Dans la nécessité à l’époque de pouvoir survivre, exister et même être présent sur la scène nationale et internationale, l’État de la première République s’est tout de suite décidé de créer une compagnie aérienne nationale parce qu’à l’époque les seuls vols qui venaient à Conakry c’était Air France. Et plus tard quand on a ouvert nos liens avec les pays de l’est du bloc socialiste communiste dont le grand était ce qu’on appelait l’Union soviétique qui avait aussi une puissante compagnie aérienne, c’était pour aller à l’étranger, mais au niveau national il n’y avait rien. Pour combler ce vide là, s’est imposée l’idée d’avoir notre propre compagnie aérienne. Ce qui était vraiment quelque chose à l’époque qu’on pouvait dire de magique parce qu’imaginer un Guinéen conduire un avion, c’était quelque chose d’utopique. On peut acheter un avion, mais il faut savoir aussi former ceux qui conduisent l’avion, ceux qui le réparent. L’aviation est tout un domaine parmi les plus sophistiqués. Tout le monde sait qu’un accident d’avion c’est la mort fatale et pour les pilotes et pour les passagers. Donc, conduire un avion, le faire décoller et le faire atterrir, c’est pas de la blague. Donc on a dû former des jeunes pilotes. C’est là où c’était le challenge le plus extraordinaire que la Guinée avait réussi parce que comme d’autres pays de la colonie française n’avaient pas choisi l’indépendance, ils étaient restés dans le système, ils avaient Air France à l’époque et les avions des autres compagnies de l’Occident. Mais nous qui avons rompu avec eux, on n’avait rien. Voilà comment la nécessité d’avoir la compagnie aérienne a été prise. On a amené tout de suite des jeunes très brillants en sciences mathématiques en Union soviétique où il y avait une puissante industrie aéronautique et des grandes facultés de formation. Donc c’est à leur retour qu’il s’est trouvé que maintenant des jeunes guinéens pouvaient prendre un avion, le faire décoller et le faire atterrir. J’ai eu l’avantage par la grâce de Dieu de vivre cet événement, le jour où le premier avion Air Guinée a atterri à l’aéroport de Labé », fait-il savoir avant d’ajouter :
« A l’époque j’étais collégien, ce jour quand on a annoncé que l’avion Air Guinée conduit par des jeunes pilotes guinéens allait atterrir, c’est tout le Fouta qui a bougé pour aller voir si c’est vrai, parce que personne n’y croyait. Un avion atterrir à Labé Oui, car l’aéroport de Labé est l’un des plus vieux de l’Afrique de l’ouest depuis le temps colonial […]. Quand on a ouvert les portes, les pilotes sont sortis deux ou trois comme ça tellement beaux : le képi, les galons. Ils sont sortis de l’avion, descendus des escaliers et allés maintenant à l’aérogare devant des centaines de personnes chacun se disant que c’est pas vrai. D’autres disaient que ceux qui ont conduit l’avion ne sont pas descendus, sont cachés dedans, qu’on veut nous bluffer en disant que c’est les jeunes guinéens qui ont conduit et posé l’avion. Ce jour-là, j’étais là avec mes parents, ma mère toujours et il s’est trouvé qu’un des jeunes pilotes était un neveu à elle. Quand il est descendu, j’étais en train de pleurer pour monter dans l’avion en question pour voir dedans. Ce qui fut fait et je me suis calmé. Quand j’ai dit à maman (paix à son âme) que je voulais devenir pilote, elle m’a dit de chercher un métier à terre, tous les gens de sa génération en ont ri. A l’époque on avait Air Guinée, on voyageait Conakry-Labé, Kankan-N’Zérékoré, on croyait que c’était naturel. L’avion est vu, Air Guinée existe, la Guinée ne pouvait pas exister sans Air Guinée. Pendant des décennies, Air Guinée était vraiment la fierté du pays dans toute l’Afrique parce que quand la compagnie a ouvert des agences en Côte d’Ivoire, au Nigéria, à Lomé, à Lagos, partout, plus tard quand j’étais ambassadeur en Afrique Centrale, on a ouvert une agence à Brazzaville, l’autre à Kinshasa. Donc quand Air Guinée débarquait, tu pouvais être fier d’être Guinéen parce que tous les autres venaient dire que non c’était pas possible. Avec les réformes issues du changement de régime, à l’époque les bailleurs de fonds Banque mondiale et FMI avaient imposé au pays ce qu’on appelait les ajustements structurels en disant qu’il faut fermer les entreprises non rentables. L’État avait fait beaucoup de subventions pour Air Guinée sans bénéfice, donc il faut fermer. Cette compagnie nationale a été « fermée avec presque toutes les entreprises que le premier régime avait créées et qui fonctionnaient dans les normes possibles de l’époque, avaient été dites non rentables et fermées (…) Air Guinée et moi c’est toute une histoire », souligne le fruit des premières générations de l’université guinéenne.
Pour montrer à quel point Air Guinée était une fierté nationale, le sociologue historien a encore en mémoire l’événement de Brazzaville. Pour raconter l’événement, l’ancien diplomate n’a pas pu retenir ses larmes : « En 1987, quand j’étais ambassadeur à Brazzaville, dans la lutte des pays africains contre l’apartheid, il fut décidé d’organiser à Brazzaville un symposium international des écrivains contre l’apartheid. Les écrivains de toute l’Afrique se sont donnés rendez-vous à ce sommet littéraire. Chacun venait à Brazzaville à partir de ses moyens. Et le cas que je connais aussi de grande valeur, c’est qu’à l’époque on nous a dit que le président sénégalais Abdoul Diouf a donné l’avion présidentiel du Sénégal pour amener les écrivains sénégalais, ramasser en passant les écrivains de tous les pays de la côte là qui n’avaient pas d’avion. Depuis lors, quand on parle de littérature en Afrique, le Sénégal en regorge le plus grand nombre. A l’époque, la Guinée avait bien sûr créé l’Association des écrivains de Guinée, mais ils n’étaient pas nombreux comme aujourd’hui. On ne pouvait même pas aligner une dizaine d’écrivains qui en soient vraiment des vrais, qui avaient écrit, édité et connus. J’étais membre du comité international d’organisation du symposium. C’était un grand évènement de dimension mondiale parce qu’à l’époque, la lutte contre l’apartheid et de l’appui à Nelson Mandela (ancien président sud-afeicain, ndlr) étaient une grande actualité, bien sûr c’était avant sa libération. Mais c’est les derniers événements qui ont favorisé sa libération. Donc c’était important pour l’histoire, la diplomatie et la réputation de la Guinée qui a consacré toute son énergie, ses moyens, sa lutte au service de l’Afrique pour combattre l’apartheid. Dès que l’événement a été programmé, j’ai fait un rapport au ministère guinéen de la Culture pour en dire l’importance. J’avais une inquiétude, car face aux écrivains venant de toute l’Afrique, certains écrivains guinéens avaient écrit des poèmes pour dénoncer l’apartheid, mais ce n’était pas suffisant face aux grands pays de lettres comme le Sénégal et d’autres pays de l’Afrique de l’est », nous-a-t-il confié avant de poursuivre :
« J’ai proposé que nous fassions accompagner les écrivains guinéens par ce qu’on a aussi de mieux qui était aussi dans le domaine de la culture quelque chose que toute l’Afrique a admiré. J’ai dit qu’on avait les Ballets africains, ils m’ont répondu que ce ne sont pas des écrivains. Je leur ai dit que c’est bien sûr des écrivains qui s’expriment à travers les tams tams et les instruments. Le ministre de la Culture qui était un camarade du collège, du lycée et d’université m’a donné raison. Il était tout-puissant ministre et proche du président Conté. Quand il est allé dire ça au chef de l’État, le président lui a dit que j’avais raison et lui a dit donnez-lui l’avion. On m’a répondu que le président a donné son feu vert, en disant que c’est moi qui déciderai de qui va y monter. C’était extraordinaire, un événement dont je suis très fier. Ça me donne un peu d’émotions (pleurs, ndlr), tout ça là je l’ai vécu. Quand Ai Guinée a atterri à Brazzaville ce jour-là, les écrivains sont descendus. Quand les ballets sont descendus comme ils savent le faire, c’est tout Brazzaville qui venue pour voir tout ça et dire que les Guinéens sont venus. Donc quand j’ai lu ton article relatif à l’annonce faite par le ministère des Transports sur la relance très prochaine d’Air Guinée, je t’ai contacté pour en parler et montrer à quel point la nouvelle me réjouissait et que c’est j’ai toute une histoire de vie avec Air Guinée », dit-il.
L’annonce de ce genre sur la relance d’Air Guinée n’est pas une première. Le fondateur du musée du Fouta Djalon ose espérer que cette fois-ci sera la bonne : « Il y a quelques années, au temps du Professeur Alpha Condé (renversé par un coup d’État militaire le 5 septembre 2021, ndlr), un moment on nous avait annoncé la relance d’Air Guinée, on nous avait même montré un avion qu’on avait acquis et même peint couleurs d’Air Guinée qui serait garé dans les hangars de l’aéroport de Conakry où il était question de l’inaugurer. A l’époque, le ministre des Transports Oyé Guilavogui était venu à Labé. J’étais présent à la réunion avec le ministre Oyé en tant que membre du conseil régional de la société civile. Il a dit qu’on allait bientôt relancer Air Guinée, que la séance d’inauguration c’est tel jour. J’ai dit au ministre que j’avais une affaire de vie avec Air Guinée, je lui ai dit de ne pas nous créer des faux espoirs. Et que quand le ministre fait une telle annonce, qu’il y a beaucoup de personnes qui en ont beaucoup d’espoirs et d’émotions. Le ministre m’a dit de rester tranquille, d’ailleurs il a dit à son cabinet de m’inviter à la cérémonie de relance de Air Guinée. Cela fait plus de 10 ans maintenant que cela n’est pas arrivé. Le projet passe jusqu’à présent d’annonce en annonce. Cette fois-ci, j’aimerai que ça soit la bonne et que du haut de presque mes 80 ans, j’ai encore le bonheur de remonter dans Air Guinée, de quitter Labé et revenir à Conakry en quarante cinq minutes parce que c’est extraordinaire. Aujourd’hui pour quitter Labé et venir à Conakry, on subit le calvaire de pas moins de dix heures de voiture quel que soit le véhicule. C’est un message que je lance à tous ceux qui vont lire et entendre, je prie Dieu que cette fois-ci ça soit la bonne parce que ça serait une bénédiction pour tous ceux qui auraient contribué à le faire. C’est mes prières les plus ferventes pour qu’Air Guinée renaisse. Cette fois-ci j’ai beaucoup d’espoir parce que je suis toujours en première ligne dès qu’on parle d’Air Guinée (…). Tous les jours je prie pour que cela se réalise devant moi. Si le décideur entend ce que j’ai dit, il aura compris qu’il y a derrière l’annonce quelque chose d’extrêmement important. Ceux qui en parlent et en décident savent qu’ils auront vraiment mérité de leurs fonctions et de leur génération. Tous ceux qui en décident savent que j’ai eu à le leur dire et ils savent que c’est une attente qui fait partie de ce que les Guinéens attendent de plus parce qu’un pays comme la Guinée qui reste pratiquement 30 ans sans aéronef, ans avion, ça nous fait si mal que nous sommes résignés, pratiquement beaucoup de personnes ont disparu dans cet espoir. Tout gouvernant sait qu’il doit faire partie de ce qu’il doit réussir pour avoir la bénédiction auprès de Dieu qui lui a donné le pouvoir. C’est des choses qui permettent aux citoyens ordinaires de se dire Oui qu’ils sont dans un pays où il fait bon vivre, parce que sinon c’est extrêmement difficile. Nous perdons beaucoup de moyens, de temps. Pour venir à Conakry depuis des années, je laisse mes véhicules à Labé pour emprunter un taxi. Si l’avion était là comme avant, ce serait vraiment un grand soulagement pour tout le monde », espère Professeur Bonata Dieng, sortant de la faculté des lettres de sciences sociales de l’institut polytechnique de Gamal Abder Nasser (3ème promotion).
Contrairement à ses prédécesseurs, le Général Mamadi Doumbouya va-t-il relever ce défi en entrant dans l’histoire par la grande porte ?
Entretien réalisé par Mohamed Lamine Souaré pour Siaminfos.com
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