Vote de l’amendement de l’article 36 des statuts de la Banque centrale par le CNT : un économiste alerte sur les graves conséquences de cette opération
Sur proposition du pool économique et financier, notamment le ministère de l’économie et des finances, le Conseil National de la Transition (CNT) a adopté le 24 avril dernier, un amendement de l’article 36 des statuts de Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) relatif aux avances de crédits en faveur de l’État par le biais du trésor public.
Avant l’amendement, l’article 36 des statuts de la BCRG stipulait que : « Le montant total des concours que la Banque Centrale peut accorder à l’État et, le cas échéant, aux organismes et entités publics, ne peut excéder 5% de la moyenne annuelle des recettes publiques ordinaires des trois derniers exercices financiers précédant l’année en cours et pour lesquels les comptes sont disponibles. Lesdits concours sont remboursables dans un délai qui ne peut dépasser 92 jours calendaires et sont assortis du taux d’intérêt du marché en vigueur en République de Guinée ».
Désormais, au lieu des 5% initialement prévus, le CNT a autorisé la Banque centrale à accorder à l’État jusqu’à 10%. Également, le délai de remboursement est passé de 90 jours à 180 jours. Ce qui ne laisse pas indifférent les économistes qui dénoncent une « situation gravissime ».
Selon l’économiste Abdoulaye Guirassy, les avances de la Banque centrale en faveur du trésor (l’État) sont tout à fait normales. Dans les périodes de vache maigre où l’impôt n’est pas trop au rendez-vous, dit l’économiste, il est loisible pour le trésor public d’aller s’endetter auprès de sa Banque qui n’est autre que la Banque centrale.
« Sauf que chaque franc que la Banque centrale consent en terme d’avance au trésor public, ce n’est pas l’argent qu’elle prend de ses clients, elle fait ce qu’on appelle la création monétaire. Elle crée de la monnaie qui n’existait pas avant, autrement la planche à billets. C’est ça l’enjeu. Chaque franc que la Banque centrale consent au trésor public, ça s’appelle de la planche à billets. C’est de la création monétaire pure et simple », a-t-il déclaré.
Ce qui est encore déplorable, dit Abdoulaye Guirassy, « de cet article 36, il a été ajouté astucieusement et subtilement une dérogation qui le vide de son sens en ces termes : « Toutefois, aux termes de la présente Loi, une dérogation peut être accordée par la Banque Centrale à l’État, dans les circonstances extraordinaires telles que des crises économiques majeures ou des catastrophes naturelles, sur autorisation du Conseil d’Administration, sans excéder le taux de convergence de la CEDEAO et remboursable dans un délai ne dépassant pas 180 jours calendaires. Dans ce cas, le Conseil d’Administration fixe et approuve les modalités de financement (le seuil, la durée et le taux d’intérêt applicables) ».
Ce qui donne désormais le pouvoir au Conseil d’administration dont les membres sont nommés par décret et parfois qui ne relèvent même pas de la Banque centrale de décider des choix stratégiques en lieu et place du Comité politique monétaire qui est l’organe technique en la matière.
Pour toutes ces raisons, l’économiste indique que « l’amendement voté par le CNT est un amendement aux allures scandaleuses ». A l’en croire, « si le déplafonnement est consommé, on va assister à la création monétaire sans contrepartie en biens et services. Et la conséquence, c’est l’inflation. Si le trésor public s’appuie trop sur les avances de la BCRG, il va devenir trop dépendant sur les financements et cela peut compromettre dangereusement l’indépendance de la Banque centrale et sa capacité à mener une politique monétaire efficace. Ça pourrait entraîner un déséquilibre budgétaire quand le non respect du plafonnement pourrait révéler des problèmes structurels dans la gestion des finances publiques. Et ça peut également amener ce qu’on appelle les tensions politiques et monétaires. Et enfin, ça pourrait engendrer ce qu’on appelle la dégradation de la confiance. Et cela peut affecter les taux d’intérêts si on veut lever des fonds dans les marchés financiers, ça peut également décourager l’investissement dans notre pays », a alerté Abdoulaye Guirassy sur Espace FM.
Abdourahmane Pilimini Diallo pour siaminfos.com