Conflit entre Morigbeya et Fadou-Saba, à Kouroussa: une décision de la justice de paix kouroussa pointée du doigt d’attiser davantage le feu
Morigbeya et Fadou-Saba sont respectivement un district et une sous-préfecture relevant de la préfecture de Kouroussa. Comme dans beaucoup de localités de Hamana, ces deux contrées ne s’entendent plus depuis plusieurs années. Séparées par une distance de 5 kilomètres, ces deux zones sont en conflit à cause d’un domaine agricole situé entre elles.
Aujourd’hui, malgré les nombreuses démarches et interventions engagées de part et d’autre entre ces deux communautés, la tension reste vive. Récemment, un affrontement entre ces localités a fait des blessés et plusieurs personnes interpellées sont actuellement détenues à la maison d’arrêt de Kankan.
Morigbeya qui affirme avoir remporté plusieurs confrontations, notamment celle devant la justice de paix de Kouroussa, soutient que Fadou-Saba a été installé par ses ancêtres. Mory Cissé, porte-parole de la notabilité de Morigbeya, interrogé par notre correspondant basé à Kankan, est largement revenu sur l’historique de ce conflit.
«Woulada est une grande localité, mais nous sommes voisins avec 24 autres localités. Toutes ces 24 localités savent que la sous-préfecture de Fadou-Saba, qui se déclare propriétaire du domaine en question, appartient en réalité à Morigbeya. Parmi ces 24 localités, il y en a 8 qui étaient installées avant que Fadou-Saba ne s’installe à cet endroit. Cette sous-préfecture est à sa quatrième implantation. Ils se sont d’abord installés à Kaboukaria, puis à Kiegnerö, ensuite à un endroit appelé Fadou. Et enfin à leur emplacement actuel, qui était appelé Saba et qui leur a été offert par mon grand-père. C’est une des raisons pour lesquelles on l’appelle Kaboukaria Fadou-Saba. De l’autre côté de la rivière de Saba, que Fadou-Saba revendique aujourd’hui, toutes les autres communautés de Saba se trouvent au-delà de cette rivière. Dans le passé, victimes de la colère des esprits, ils sont venus voir mon grand-père pour obtenir son aide afin de s’installer auprès de lui. C’est récemment que Fadou-Saba a commencé à occuper cette partie pour la cultiver. Leur imam, qui est venu avec une noix de cola, vit encore ; il avait demandé à nos ancêtres la permission de cultiver cette partie de la terre. Ce problème existe entre nous depuis longtemps, mais il a pris de l’ampleur en 2020 lorsqu’une de nos cases a été incendiée sur cette parcelle. Aujourd’hui, cinq cases ont été brûlées. Avant qu’ils ne soient acceptés, nos anciens ont demandé l’accord de plusieurs sages des villages environnants. Si vous ne me croyez pas, allez dans les autres localités voisines. Si vous trouvez quelqu’un qui affirme que cet endroit appartient à Fadou-Saba, je jure sur tout que nous leur laisserons la terre. Ou bien, s’ils sont confiants, ils peuvent venir et jurer sur la Fatiha pour voir les conséquences. Nous avons mis en place une société civile composée de 16 districts, et cette commission a tranché en notre faveur ; ils ont accepté devant tous. Mais depuis qu’ils ont été érigés en sous-préfecture en 2022, ils ont relancé l’affaire. Suite à cette relance, l’association des donzos est intervenue et a demandé que la décision des sages de Woulada soit respectée, car le lieu nous appartient. Ils ont accepté cette négociation, puis ont formé une équipe qui est venue présenter ses excuses au président du district pour ce qui s’est passé. Nous en étions restés là, mais ils sont allés frapper un de nos enfants qui travaillait sur le lieu, le blessant. Nous avons pris l’enfant et l’avons envoyé à Kouroussa pour des soins, et les gendarmes sont intervenus pour régler la situation. Après les soins de l’enfant, les gendarmes nous ont convoqués pour des pourparlers. Quand les gendarmes ont vu qu’ils ne voulaient pas comprendre, ces derniers ont autorisé l’arrêt des activités sur la partie en conflit. Nous sommes restés dans cette situation, puis deux personnes de Kaboukaria sont allées porter plainte contre mon frère et moi à Kankan, mais le tribunal de Kankan a renvoyé le dossier à Kouroussa. Cette procédure aussi est tombée en notre faveur ; le tribunal a statué que le lieu appartient à Morigbeya. Malgré cette décision, ils ont continué à travailler. J’ai appelé l’avocat pour lui expliquer la situation ; il m’a conseillé de ne pas réagir et de me fier à la loi. Pendant qu’ils travaillaient sur les lieux, nous avons remonté l’information et envoyé la décision de justice qui prouve que la terre nous appartient. Quand nos jeunes sont partis la dernière fois pour défricher une partie, ils ont attaqué les enfants», a-t-il expliqué.
À Fadou-Saba, on reste également catégorique. L’appartenance du domaine ne fait aucun doute. Ils accusent une décision de la justice de paix de Kouroussa d’avoir aggravé la tension, causant ainsi des blessés. Ciré Karamo, membre du district de Fadou-Saba, affirme que la décision qui a attribué le domaine à Morigbeya a été rendue sans procès.
«Les sages ont révélé toute la vérité dans cette affaire. Ce sont nos ancêtres qui ont coupé les premiers arbres sur cette parcelle en conflit. La rivière Saba a toujours servi de limite entre nous depuis des années. Mais le problème que nous vivons aujourd’hui, c’est l’amour de la parenté, de l’Islam et la pitié qui nous ont mis dans ce pétrin. Mory Cissé est venu voir nos anciens, notamment Karamo Lounceny, pour demander à ce que son frère vienne s’installer de l’autre côté de la rivière, car ce qu’il faisait n’était pas apprécié par la population. Karamo Lounceny a fait savoir qu’il n’était pas le président du district, mais qu’il l’accompagnerait chez son frère. Après avoir expliqué la situation à mon père, il lui a demandé s’il connaissait cet homme. Karamo Lounceny a répondu par l’affirmative. Mais mon père a exigé que le terrain soit acheté. C’est après de longues négociations que le frère de Mory Cissé a été autorisé à s’installer derrière Saba. Nous en étions restés là, mais celui que nous avions permis de s’installer a ensuite cédé une portion à une autre personne. C’est ainsi que les fils du propriétaire de cette portion ont incendié les cases de celui qui venait de s’installer. Ils ont porté plainte contre nous à Cisséla. Nous y sommes allés, où nous avons été contraints de les dédommager, versant 2 millions de francs guinéens pour l’ensemble des démarches. Ensuite, ils sont passés par les sages pour dire qu’on allait en discuter entre nous. Suite à cela, la société civile que nous avons mise en place ici s’est impliquée et a demandé que nous retrouvions la paix, mais Morigbeya a refusé. L’année dernière, ils ont attaqué nos enfants qui travaillaient là-bas. La gendarmerie est intervenue, suspendant les activités sur les lieux et demandant à ceux qui avaient construit là-bas de quitter, leur accordant un délai de six mois. Malgré cette décision, ils ont continué à vivre et à construire là-bas. C’est ainsi que nous avons porté plainte auprès de la justice de paix. La première fois que le juge m’a convoqué, j’ai constaté qu’ils avaient engagé un avocat pour nous affronter. J’ai donc demandé à la justice de nous trouver un avocat. Pendant ce temps, les sages ont estimé que ce n’était pas une bonne chose que les deux localités s’affrontent en justice et ont suggéré de laisser la notabilité jouer un rôle. Qu’est-ce que nous avons vu ? Le juge a remis un document à Morigbeya stipulant que la terre leur appartient. C’est ce qui a aggravé la situation. Aujourd’hui, huit de nos enfants sont en prison. Ce problème existe depuis longtemps entre nous, mais pour causer de tels dégâts, c’est à cause de la décision du juge de paix de Kouroussa », dit-il.
Pour le préfet de Kouroussa qui avait engagé des démarches pour réconcilier les localités, l’implication de la justice a rendu les choses plus difficiles.
«Les ressortissants de Fadou-Saba à Conakry qui est la sous-préfecture, avaient déjà été informés de la situation. Ils m’ont contacté, leur doyen m’a d’abord remercié pour tout ce que j’ai fait jusqu’ici, mais il a demandé que l’on plaide auprès de la justice pour leur permettre de trouver une solution. J’ai donc envoyé mon secrétaire général chargé de l’administration, qui a plaidé en faveur d’une solution à l’amiable, expliquant que ce n’était pas une affaire de prison, mais une question de trouver un compromis. Malheureusement, le délai accordé n’a été que d’une semaine alors que nous avions demandé un mois, mais cela a été jugé trop difficile. Il faut d’abord chercher à réconcilier les ressortissants des deux localités, car ceux qui sont au village comptent sur ces ressortissants. Ensuite, il faut sensibiliser les résidents en leur rappelant qu’ils font partie de la même famille, qu’ils sont mariés entre eux. Ce qui signifie qu’ils partagent les mêmes liens. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Subitement, nous avons appris l’existence d’une ordonnance, je pense, sans jugement ni confrontation, affirmant que la limite contestée entre les deux districts appartient à Moribaya. C’est là que les problèmes ont commencé, car ladite zone avait déjà été placée sous l’autorité de la gendarmerie. Et nous avions convenu que personne ne devait y travailler tant qu’une solution n’était pas trouvée. Mais dès l’instant où la justice a émis une ordonnance, on nous a dit que personne n’était au-dessus de la loi, et que ce soit le préfet ou un autre, nous ne pouvions plus rien faire », a-t-il fait savoir.
Malgré les dispositions prises pour éviter un affrontement entre ces deux communautés, Morigbaya et Fadou-Saba se sont affrontées, faisant des blessés. Aujourd’hui, plusieurs personnes, dont cinq de Morigbaya et huit de Fadou-Saba, sont en prison. Selon les riverains, ces jeunes prévenus se trouverait dans les mêmes cellules que des présumés criminels, ce qui inquiète la population locale. Hors micro, certains nous ont confié que des sommes d’argent sont exigées au niveau de la maison d’arrêt pour que ces prévenus soient départagés avec ces présumés criminels et autres.
Le juge de paix de Kouroussa que nous avions rencontré à ce sujet, n’a pas voulu s’exprimer, avec pour argument qu’il n’a pas l’autorisation de son supérieur hiérarchique.
Kankan, Pathé Sangaré pour Siaminfos.com