Guinée : tout savoir sur le projet « les potagers bio scolaires » qui initie les élèves à l’agriculture biologique en milieu scolaire
Dans le but de lutter contre l’insécurité alimentaire et favoriser l’autosuffisance tant recherchée, Macia Agro business Sarl, une société qui évolue dans l’agriculture, en collaboration avec Young African Farmer’s Initiative a mis en place un projet dénommé « les potagers bio scolaires » pour initier les élèves à l’agriculture à partir du milieu scolaire. Déjà, les élèves du Complexe scolaire Yamassafou Bah, une école située dans la commune de Ratoma choisie pour la phase pilote, ont effectué la théorie comme la pratique de leur formation. En début de ce mois d’avril, ils ont mis en place une unité de production hors sol du gombo et du concombre, en présence des autorités de l’école.
Dans une interview accordée à notre rédaction dans la matinée de ce lundi, 24 avril 2023, Abdourahmane Bah, gérant de la société Macia Agro business Sarl et Mamadou Alimou Bah, le cogérant sont largement revenus sur leur initiative.
Siaminfos.com : Parlez-nous de votre projet agricole « les potagers bio scolaires »!
Mamadou Alimou Bah : Le projet « les potagers bio scolaire » est initié par la société Macia Agro business Sarl en collaboration avec Young African Farmer’s Initiative. C’est un groupe de jeunes béninois qui excellent dans l’agriculture, qui fait la promotion de l’agriculture en Afrique. Ils ont décidé d’initier les enfants dans les technologies androgènes et modernes en matière de production agricole. Nous, en collaboration avec eux, on a été pour une formation au Bénin. Dès notre retour, on se dit pourquoi ne pas implanter ça chez nous en Guinée. Donc, c’est dans ce cadre qu’on a réfléchi et on a mis le projet en place. Donc, c’est un projet qui vise à initier les enfants à l’agriculture biologique en milieu scolaire. Parce qu’on estime avec les enfants, facilement, ils vont aimer. Et quand ils aiment, le plus souvent, ils peuvent en faire des carrières professionnelles. Ceux qui auront pris le goût de l’agriculture, choisiront même des filières agricoles, ils vont se spécialiser. Et après, on aura des agriculteurs, des agronomes pratiquants et non des agronomes comme on a actuellement. On a beaucoup d’agronomes aujourd’hui mais ils sont dans les boutiques, ils sont à Madina, ils sont partout. Mais nous, on a vraiment besoin des agronomes sur le terrain, qui retournent à la base, qui travaillent sur la terre.
Est-ce qu’il y a de l’engouement au niveau des élèves, est-ce qu’ils accordent assez d’importance à l’initiative ?
Au début, on avait du mal. Mais quand on a expliqué aux enfants, on a fait une présélection; et dès qu’on a parlé de l’agriculture et la pratique, ça a pris de l’ampleur. Parce que c’est les enfants eux-mêmes qui touchent, qui pratiquent, ils mettent la main et ils pratiquent. C’est purement pratique. Il y a 25% de cours théoriques et 75% de cours pratiques. La théorie, c’est parce qu’il faut leur donner les notions de base. C’est quoi l’agriculture biologique ? C’est quoi les semences ? Après maintenant faire la pratique avec ça. Quand on leur a expliqué, tout le monde est venu. On avait eu du mal à présélectionner les gens. On a choisi pour un début 50 personnes, histoire d’avoir un effectif minime afin qu’on puisse les gérer jusqu’à ce qu’on ait un résultat et après on verra. Les enfants, on les a choisis à main levée comme ça en classe et on les a dit d’aller informer les parents. Les parents aussi ont envoyé un retour, qu’ils sont vraiment d’accord. Ils nous ont dit: c’est une bonne initiative, vraiment on aime. Les enfants, il y en avait d’autres qui chômaient mais quand on a commencé la pratique, tout le monde est là. Et chaque matin, toute l’école vient d’abord voir avant d’aller en classe. Ils sont curieux, parce qu’ils ne connaissaient pas, c’est une nouvelle génération. Il y a de l’engouement qui les anime, il y a un sentiment qui les anime pour venir travailler sur ça. A chaque fois qu’on les programme, ils viennent. Si on dit aujourd’hui même on a un cours qui porte sur ça, tout le monde est là.
Comment se fait la collaboration avec les écoles ?
Quand on est revenus, on se dit d’abord au lieu de passer par la publicité, parce qu’en Guinée, il faut voir d’abord les actes, nous sommes venus voir le Complexe scolaire Yamassafou Bah pour le projet pilote. Les autorités de l’école nous ont accueillis à bras ouverts, on leur a expliqué le projet et automatiquement, le fondateur nous a dit qu’on va installer. Donc, c’est le centre pilote.
Pourquoi avez-vous choisi l’agriculture biologique au lieu de celle chimique ?
C’est la particularité du projet. C’est que, c’est une agriculture biologique. On sait que dans l’agriculture chimique, les engrais chimiques qu’on utilise sont néfastes par rapport à notre santé. Donc, c’est pour cela on se dit pourquoi ne pas revenir sur la terre. Quand on prend de par le temps, il y avait ce qu’on appelait l’agriculture familiale. Chacun avait un potager chez lui. Nos parents nous ont élevés avec ça. C’est pourquoi eux, ils étaient très sains. Vous allez voir un vieux de 80 à 90 ans, voire 100 ans qui se tient encore debout. Mais nous à 15 ans seulement, chaque semaine, il faut aller faire des consultations, à cause de tout ce qu’on mange. Sur l’agriculture biologique, nous sommes très en retard parmi les pays de la sous-région. Donc, on s’est dit qu’on peut mais il faut connaître. Et le Bénin aujourd’hui est un exemple par rapport à ça. Donc ici, c’est de l’engrais biologique qu’on utilise. On fabrique l’engrais avec les enfants. Vous avez vu le stade où se trouve nos plantes, on dit aux enfants quand les plantes arrivent à ce niveau, voici le type d’engrais qu’on doit leur donner. Les plantes ont besoin d’éléments nutritifs majeurs notamment l’azote, le phosphore et le potassium. Il y a d’autres éléments mineurs, mais ce sont les trois éléments dont les plantes ont plus besoin. Alors si la plante a besoin d’azote, on fabrique un engrais qui a plus d’azote et on la donne. Si c’est le phosphore ou le potassium, la même chose. On mobilise les ingrédients avec les enfants et on fait l’engrais. Mais il y a aussi des maladies qui attaquent souvent les plantes. Là aussi, à chaque maladie, on connaît quel est le bio pesticide qu’il faut fabriquer pour traiter cela. Ça aussi, on fabrique avec les enfants. Actuellement même, les enfants ont constaté qu’il y a des mouches blanches qui viennent se poser. Et aujourd’hui même, on a un programme pour fabriquer un bio pesticide qui peut lutter contre les mouches blanches là. On le fait avec les enfants. Donc, c’est purement biologique et c’est possible parce que les ingrédients sont ici chez nous. Nous avons par exemple la bouse de vache, la Fiente de poule, la crotte de lapin… Quand on parle de plantes aussi, il y a une plante qu’on appelle le Neem. De par le temps, nos parents utilisaient le Neem pour guérir le paludisme. Le Neem aussi est une plante qui a tellement de vertus dans l’agriculture, on peut l’utiliser pour en faire des bio pesticides pour lutter contre les ravageurs de culture. Par exemple aujourd’hui, c’est les feuilles de Neem que nous allons fabriquer sur la base desquelles nous allons fabriquer un bio pesticide que nous allons utiliser contre les mouches blanches.
Spécifiquement, qu’est-ce que vous plantez dans votre potager ?
Comme on a pris le train en marche, nous nous tendons vers la fin de l’année scolaire, il y a des cultures de trois mois, quatre mois, six mois et aussi deux mois. Comme on a dit qu’il faut leur apprendre du début jusqu’à la fin, ils vont suivre toute la chaîne jusqu’à la récolte, donc on se dit de choisir une culture d’au moins de deux mois pour que les enfants puissent eux-mêmes récolter avant d’aller en vacances. Donc, c’est pour ça qu’on a choisi le gombo et le concombre pour l’instant. Mais l’année prochaine, dès l’ouverture, on va aller avec le piment, avec la tomate, avec l’aubergine, ça c’est des cultures de trois mois et plus.
Quelle est la finalité de ce projet? Qu’est-ce que vous visez à long terme, à travers ce projet ?
La finalité, il faut que la Guinée parvienne à l’autosuffisance alimentaire. Et l’autosuffisance alimentaire passe forcément par la production. Vu la croissance démographique, la nourriture coûtera encore chère. S’il faut prendre de l’argent dans la poche pour acheter de la nourriture, on ne sera jamais rassasié. Il faut revenir à la terre. Nos parents, par le passé, n’avaient pas assez d’argent mais ils étaient rassasiés et ils étaient encore sains, ils étaient en bonne santé. Ce qu’ils mangeaient, c’était sain et propre. Mais nous aujourd’hui, on a de l’argent mais on a fain. Rare aujourd’hui sont les familles où après un repas, on envoie un dessert parce que les desserts sont plus chères que les repas. Et vous savez le rôle que les desserts jouent dans la digestion, c’est extrêmement important. Il y a des familles à Conakry aujourd’hui qui mangent le riz le matin, dans l’après-midi et le soir encore, vous imaginez. S’il n’y a pas de fruits pour faciliter la digestion, vous avez vu ce que ça fait en terme de santé, à l’avenir qu’est-ce que ça cause ? Donc voici nous notre objectif. Donc l’objectif, c’est d’inculquer cela aux mentalités des enfants, mettre un virus de l’agriculture dans le sang des enfants. Ça va susciter en eux de la valeur. Nous voulons changer la mentalité et la vision de la Guinée en commençant par les élèves parce que c’est eux qui sont la Guinée de demain. Nous avons choisi les élèves pour leur montrer le chemin. Beaucoup vont à l’université, mais au finish, ils deviennent des chômeurs. Mais lorsque tu as déjà le virus de l’agriculture que nous voulons leur insérer, ça va bouillonner en eux. Ce n’est pas forcement en ville qu’il y a de l’argent. Dans la terre, il y a aussi de l’argent. Donc c’est beaucoup de choses que nous sommes en train de mettre en place dans ce projet. Nous prévoyons d’installer des espaces de productions agricoles dans les écoles primaires, collèges et aussi dans les universités. En Guinée, on a des écoles nationales d’agriculture. Mais, ce sont des étudiants qu’on oriente dans ces écoles. Parfois, ils n’ont pas le choix, ils n’aiment pas. Et quand ils finissent l’université, ils font autre chose, ils ne reviennent pas sur la terre. Mais ces enfants-là, si on les apprend dès au début, si seulement s’ils aiment, eux-mêmes ils vont choisir des filières agricoles à l’avenir. Et quand ils vont finir, ils vont travailler la terre. D’ailleurs, l’autosuffisance alimentaire est l’une des priorités du CNRD et de son président le Colonel Mamadi Doumbouya. Donc nous aussi on vient apporter notre grain de sel dans la transition. L’autosuffisance alimentaire, ce n’est pas un an ou deux ans. A l’horizon 2030, si on continue avec ces genres d’initiatives, ça trouvera que nous sommes sur le chemin.
Est-ce que vous bénéficiez de l’accompagnement des autorités ou d’autres ONG de promotion de l’agriculture ?
Pour l’instant, nous sommes à notre début, ça fait deux semaines depuis qu’on a commencé, on n’a pas eu d’abord de l’accompagnement. On a décidé d’évoluer d’abord sur fonds propre pour qu’on puisse montrer de quoi est-ce qu’on est capables et après on va chercher des partenaires. Les partenaires, il nous le faut parce que les enfants que nous sommes en train de former, après on va les accompagner en matériels, on va aussi les suivre pour qu’ils puissent répliquer ça chez eux. Pour ça, on a besoin d’accompagnement pour les accompagner.
Quel appel avez-vous à lancer à l’endroit de l’Etat ?
Nous lançons un appel aux autorités guinéennes, aux autorités de la transition pour s’intéresser au projet. De nous contacter, de venir nous demander qu’est-ce qu’on a derrière l’idée parce qu’on a beaucoup d’idées, on a beaucoup de choses derrière ce projet-là, notamment dans la fabrication des engrais biologiques. Nous sommes des experts, on peut aussi mettre notre expérience à la portée des agriculteurs guinéens parce qu’aujourd’hui, les intrants agricoles coûtent extrêmement chères. Et pourtant, l’engrais chimique qu’on nous envoie ici pour nous vendre, ce sont les trois éléments que j’ai cités à savoir l’azote, le phosphore et le potassium. Il y a un engrais qu’on appelle Urée. Dans l’Urée là, il y a 46% de l’azote qui sont représentés. Nous, on peut fabriquer un engrais biologique qui peut rivaliser cet engrais-là. On peut aussi fabriquer un engrais pour rivaliser celui qu’on appelle NPK (l’azote, le phosphore et le potassium). Quand on est revenus de notre formation, mon ami et moi, on a fabriqué un engrais à base de plumes de volaille qu’on a fait analyser à l’Office National de Contrôle de Qualité et les résultats étaient extrêmement satisfaisants. On a trouvé que l’engrais là peut rivaliser deux fois l’Urée. Ce sont des projets que nous avons. Donc, au lieu que l’État ne continue à subventionner les engrais chimiques, pourquoi ne pas mettre des programmes pour former les agriculteurs dans la fabrication. Il y a tellement des plantes chez nous qui ont des vertus qu’on peut utiliser dans l’agriculture biologique. Nous, on connaît tout ça et on peut former les gens. L’Etat ne peut pas toujours subventionner, mais comme les matières premières existent chez nous, pourquoi ne pas former les gens sur ça. Parce qu’à côté de l’autosuffisance alimentaire, il y a l’insécurité alimentaire. Mais pour pallier à tout ça, il faut revenir à l’agriculture biologique.
Interview réalisée par Abdourahmane Pilimini Diallo pour Siaminfos.com