Pour financer les infrastructures routières, la junte guinéenne entend lever auprès des banques primaires 5 000 milliards de francs guinéens. Une décision que bon nombre d’observateurs estiment inopportune. Alors que plusieurs questions restent pour le moment sans réponse, le président de la commission plan, affaires financières et contrôle budgétaire au Conseil national de la transition, vient d’apporter des éclaircissements sur le niveau d’endettement de la Guinée.
Hamidou Camara, puisqu’il s’agit de lui, s’est exprimé d’abord sur le déficit budgétaire du pays : « Le déficit budgétaire, le fait de le limiter à 3%, il y a deux raisons. Quand vous prenez les traités de 1992, les déficits budgétaires ont été fixés à 3%. Et le traité de stabilité économique de 1997 c’était aussi à 3%. La première raison, c’est d’éviter l’effet d’éviction, c’est lorsque l’État fait recours aux épargnes pour se financer. Donc, on suppose qu’au lieu que les banques primaires n’accordent des prêts aux entreprises privées, elles vont désormais financer l’État. Même s’il y a d’autres économistes qui remettent cela en cause parce qu’il n’y a pas d’entreprises publiques. Les fonds qui sont levés par l’État, ce sont aussi les entreprises qui sont payées avec. L’autre raison, c’est le fait que les ménages sont vicieux parce que dans le circuit économie, il y a l’État, les entreprises, les banques et les ménages. Lorsqu’il y a déficit budgétaire, il y a trois solutions. L’État fait l’impôt additionnel c’est-à-dire l’accroissement de l’assiette fiscale, il diminue les subventions ou il s’endette. Lorsqu’on consomme moins, ça veut dire qu’on achète moins. Et si on achète moins, les entreprises font moins de chiffres d’affaires, l’État a moins d’impôts », a-t-il laissé entendre avant de poursuivre :
« Dans la sous-région, le déficit budgétaire du Mali est de 6,9%, la Guinée est à 3,83%. La Côte d’Ivoire est à 5,3%, au Sénégal c’est 5,6%, au Libéria tout près c’est 4,1%. Et ce qui est pire, la France est à 4,7%. En 2020, elle était à 9%. Ce qui veut dire qu’au-delà des 3% là, il est bel et bien possible d’aller au-delà. Maintenant, il n’y a pas de problème d’aller au-delà. Donc, on s’est intéressés d’abord au niveau d’endettement par rapport au PIB (produit intérieur brut, ndlr). Les critères de la CEDEAO sont clairs, ça ne doit pas excéder 70%. Mais au Mali, c’est 49,9%, la Guinée est à 35,05%. La Côte d’Ivoire est à 56% du taux d’endettement. Le Sénégal était à 73% en 2022, nous sommes à 36%. C’est pour dire qu’il n’y a pas de problème qu’on s’endette, on s’endette pour investir. Pour preuve, en 2020, les dépenses d’investissement étaient à 8 300 milliards, aujourd’hui, nous sommes à 14 000 milliards. Le CNT se dit que lorsqu’il y a un augmentation du déficit budgétaire, il faut qu’il y ait une augmentation des dépenses d’investissement », a-t-il martelé avant de préciser plus loin :
« La proposition de l’État, c’était d’abord les bonds de trésor qui étaient 11 700 et les obligations du trésor étaient à 4 900. Mais on a examiné le portefeuille de la dette, parce qu’il y a un impact. Tant qu’on ne lève pas ca, le peuple ne comprendra pas. Le risque du portefeuille de la dette de la Guinée est différent de celui de la Côte d’Ivoire, des États-Unis et du Mali. Quand vous prenez la France, les obligations assignables au trésor c’est 93% de leur dette. Donc, on n’est pas exposés au même risque parce que là-bas de 1 à 50 ans la dette, et chez nous aussi, c’est de 1 à 54 ans. Donc, on a examiné le portefeuille de la dette pour voir le risque. Après examen, on a vu deux risques. Le premier, c’est le risque de refinancement. Ça veut dire qu’il y a assez de créances qui arrivent à terme, c’est-à-dire l’État s’est endetté en 2019, 2020, 2021, 2023. Donc, il faut des ressources pour payer. Est-ce qu’il faut prendre un actif à court terme, à partir du moment où il y a un risque de refinancement ? Je pense que tout le monde conseillera non ! C’est pourquoi on a dit à l’État que les bonds de trésor ne sont pas bons parce que c’est de 91 à 365 jours. Il faut alors enlever les bonds de trésor pour mettre une créance à moyen ou long terme parce qu’il y a un risque de refinancement. Le problème là est réglé », a-t-il indiqué avant de conclure :
« Le second risque porte sur le taux de change parce que lorsqu’on s’endette à l’étranger, on s’endette dans une monnaie différente. Ça veut dire quoi? On est exposés à un risque de change. Et nous sommes à 64 000 milliards d’endettements, ça fait 55% de nos dettes qui sont extérieurs. Donc, comment on peut s’endetter sans prendre un actif à court terme et sans s’endetter dans une monnaie étrangère. On avait déjà dit à l’État de privilégier les actifs à long terme comme la plupart des pays, de réduire les bonds de trésor. Rien que les remboursements de cette année en bonds de trésor, nous sommes à 11 000 milliards. Ils sont remboursés comment ? L’État s’endette à 10 000, et il s’endette encore pour payer les 10 000 là. Pourquoi on doit s’endetter pour payer une dette si on ne peut pas financer les infrastructures avec. On a dit à l’État de revoir les bonds de trésor à la baisse au détriment des obligations du trésor pour deux avantages. Les obligations du trésor sont remboursées dans la monnaie locale, le risque de taux de change est nul. En ce qui concerne le risque de refinancement, ça passe de 356 jours à 4 ans », a-t-il précisé chez nos confrères de FIM FM.
Mohamed Lamine Souaré pour Siaminfos.com