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Quelle place pour les ballets culturels privés en Guinée ? : difficultés, solutions, perspectives, Djibril Abadji dit tout à Siaminfos.com (interview)

Pendant le premier régime dirigé par feu Ahmed Sékou Touré, la culture guinéenne s’était hissée au sommet sur la scène africaine et internationale. Cette prouesse a été possible en grande partie grâce aux ballets culturels dont dispose le pays. Or, depuis plusieurs décennies maintenant, des ballets culturels privés contribuent au rayonnement de la culture guinéenne tant sur le plan  national qu’international. C’est le cas notamment du « Ballet Merveille de Guinée » qui, à travers ses maigres moyens, arrive à joindre tant bien que mal les deux bouts. Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction mercredi, 24 juillet 2024, le manager dudit ballet s’est exprimé sur plusieurs sujets brûlants de ce secteur. Difficultés, solutions, perspectives, Djibril Abadji s’est confié à nous à cœur ouvert.

Siaminfos.com : Actuellement, on remarque que les ballets de Guinée sont en voie de « disparition » à cause de la rarété des spectacles. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Djibril Abadji : C’est le manque de moyens au niveau du ministère de la Culture et certaines structures qui sont sur place. Vous n’êtes pas sans savoir que dans les autres pays, ils ont beaucoup de sponsors et d’entités qui les aident, ce n’est pas seulement le ministère de la Culture. Quand ils ont une création ou une sortie sur le plan international, ils partent aussi vers certaines institutions internationales pour les aider à financer leurs créations. Il y a également l’abandon de certaines rites et danses comme le doundounba. Ce sont des choses que nous devons apprendre à bas âge à l’école d’où l’instauration d’un programme culturel dans les écoles. Il y a les moyens techniques et financiers qui fatiguent aussi ces structures faîtières, c’est-à-dire les ballets.

Avant, quand on parlait de ballets culturels, c’était beaucoup de spectacles à l’international. Pourquoi ces danses traditionnelles ne marchent plus ?

Aujourd’hui, le monde, ça tourne en rond, c’est-à-dire il faut faire des créations notamment les danses contemporaines liées à la tradition. C’est un problème qui nous fatigue aussi quand nous allons avec ces jeunes en tournée internationale, certains prennent la tangente, ça nous fatigue et c’est pour cela que nous ne gagnons pas des [trophées] au niveau international […]. A travers la création mixte c’est-à-dire contemporaine, moderne et traditionnelle, quand vous allez en tournée internationale, essayez de vous retourner.

Vous rencontrez quelles autres difficultés dans l’exercice de votre métier ?

Elles sont énormes, mais je vais en citer quelques unes. Si nous avons des créations à faire, nous avons vraiment besoin du soutien de l’État. Un seul artiste pour une seule séquence, il lui faut 1 500 000 [francs guinéens]. Imaginez si vous avez 20 séquences et ils sont 25/5, vous pouvez dépenser jusqu’à 200 millions dans la création. Si vous n’avez pas les moyens en tant que ballet traditionnel et s’il n’y a pas de création, et dans les festivals, les créations datant de 6 ans, ils ne prennent plus, ça ne peut pas marcher. Donc, chaque 3 ans, il faut une nouvelle création. Secondo, on a besoin d’espaces de diffusion, de création et de production. C’est un produit fini que les gens voient, la création est tout un dispositif. Nous avons besoin de prise en charge artistique par exemple nous nous travaillons avec 80 jeunes qui ont des parents. Il y a de ces jeunes aussi qui viennent tous les jours, certains même viennent sans prendre le déjeuner, nous-mêmes on fait sortir l’argent de notre poche pour leur donner. Nous avons une association, nous vivons de nos propres moyens, à travers les spectacles que nous générons, que les hôtels nous payent. Nous consacrons une partie de l’argent pour les costumes, une partie pour l’instrument, une autre aussi pour les primes des artistes. Si nous avons une prise en charge artistique qui va nous permettre de contourner tous ces problèmes, je crois que nous serons soulagés. Il y a de nombreux artistes qui souffrent dans l’ombre.

Le désintéressement de la nouvelle génération peut-il expliquer en partie la disparition des ballets culturels en Guinée ?

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Il fut des années, les jeunes ne s’intéressaient pas aux ballets, mais ce n’est pas le cas maintenant. J’ai fait beaucoup de recrutements ces derniers temps parce que chaque mois de décembre nous invitons plus de 300 expatriés. Nous communiquons sur internet, ils nous contactent en inbox. Quand ils viennent, à travers les stages que nous organisons, certains de nos amis qui ont des femmes blanches, aident certains jeunes à voyager. Certains jeunes ont compris que ce n’est pas un métier de bandits, en venant vers nous. Ils ont compris que ces ballets sont des choses qui font voyager. Certains viennent par passion. Ces dernières années, il y a eu plus de rentabilité humaine.

Vous avez fait ces recrutements malgré les maigres moyens dont vous disposez, qu’est-ce qu’il vous faut aujourd’hui pour relancer?

Primo, il faut la formation des jeunes parce que quand vous allez en tournée internationale, certains disparaissent. Il faut leur apprendre d’où viennent certains rites. Certains tapent le djembé ou le balafon sans connaître sa genèse. Nous avons également besoin d’espaces de diffusion, de création, et des moyens financiers pour l’achat de nos instruments pour relancer les ballets sur le plan national et international. Nous avons également des problèmes de visa au niveau des ballets traditionnels. Même si certains veulent aller à deux, ils ne gagnent pas de visa alors qu’ils payent les frais de visa. On a besoin que l’État aussi contacte les ambassades parce que chacune d’elles a ses attachés culturels ici. Qu’ils essaient de faire des réunions techniques, qu’ils sachent réellement que nous ne partons pas à l’étranger pour ne plus revenir. L’Occident ne donne pas tout le bonheur, on peut gagner ce que nous voulons en restant chez soi si nous acceptons de travailler.

Avec la nomination d’un nouveau ministre de la Culture qu’est Moussa Moïse Sylla, des changements s’opèrent-ils dans le bon sens ?

Avec l’arrivée du nouveau ministre, j’ai compris qu’il veut nous aider. L’équipe qui est partie au Marché des arts et des spectacles africains, il est allé avec elle. Ils ont reçu tous des cachets et même certains ont reçu des frais de billet d’avion. Le ministre m’a reçu deux fois, une première pour moi parce que ça fait 10 ans que j’exerce ce métier. Il est à notre écoute, veut vraiment s’impliquer dans ce que nous faisons. La dernière fois, il a dit qu’avant d’aller représenter la Guinée au Cameroun, son souhait est qu’on aille et revienne. Il a dit que le ministère ne va pas nous donner tout ce que nous voulons, mais qu’il va nous accompagner par les moyens dont il dispose. Donc, s’il essaie de mettre en place ce dispositif de financement par rapport à ces ballets, je crois que ça va nous aider. Il faut que le ministère accepte aussi d’aller à la rencontre de ces ballets parce que nous travaillons tous les jours. C’est rare de voir un membre du ministère de la Culture en tournée venir nous voir parce nous nous sommes des ballets privés, pas étatiques. Ça a été en 1980 à Washington. C’est Kèmoko Sangaré, l’ancien chorégraphe des ballets africains qui fut le directeur. A l’époque, tout était à l’État. Ces ballets ont contribué aussi à payer à un moment donné une partie des salaires des fonctionnaires quand l’État a eu des difficultés financières. Si le ministère de la Culture sort de sa zone de confort pour venir vers nous, connaître nos problèmes, avoir une politique culturelle comme le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Brésil où j’étais tout dernièrement, on pourrait aller de l’avant. Ces pays partent à la rencontre de leurs artistes pour connaître leurs problèmes.

Interview réalisée par Mohamed Lamine Souaré pour Siaminfos.com 

Tél. : 627 56 46 67 / 660 23 01 03

E-mail : souaremohamedlamine56@gmail.com

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