Pr Selly Camara, expert en environnement et développement durable : « En 30 ans, la Guinée a perdu 30 000 hectares de forêts » (entretien)
Si avant la Guinée disposait de nombreuses forêts, de nos jours, certaines ont disparu et d’autres sont en voie de disparition. Selon les chiffres qui font froid au dos, de 1965 première évaluation à 2020 derrière évaluation, le pays a perdu des milliers d’hectares de forêts avec pour cause la déforestation entre autres. Chose qui ne reste pas sans conséquence sur la vie de l’homme. Pour parler de nos forêts, notre rédaction est allée à la rencontre d’un expert en environnement et développement durable. Dans l’entretien qu’il nous a accordée, Pr Selly Camara, enseignant chercheur, a fait l’état des lieux de nos forêts de l’époque coloniale à nos jours, avant de parler de l’importance des forêts dans la vie de l’homme et les conséquences de la dégradation des forêts.
Siaminfos.com : Parlez-nous de l’étendue des forêts que possédait la Guinée avant l’indépendance, mais également celles qui restent aujourd’hui dans le pays ?
Pr Selly Camara : Les premières évaluations qui ont été menées en 1965 après l’indépendance ont révélé l’existence de 1 400 000 hectares de forêts denses humides moins la mangrove. En 1968, les secondes évaluations, les forêts denses humides se sont retrouvées avec une perte de 50%, c’est-à-dire de 1 400 000 hectares on est revenus à 700 000 hectares. Les forêt danses sèches et forêts claires ont été évaluées en 1968 à 1 600 000 hectares, les savanes boisées 10 636 000 hectares. En 1968, le total des forêts (denses, humides, claires, sèches, savane boisée) la Guinée comptait 13 186 000 hectares. Quelques années après, en 1990, cette évaluation est revenue à 7 276 000 hectares. L’an 2 000 a connu une baisse encore, il a été enregistré 6 929 000 hectares, en 2015, la superficie est revenue à 6 369 000 hectares, en 2020, les dernières estimations à 6 369 000 hectares. En 30 ans, la Guinée a perdu 30 000 hectares de forêts et le taux de reboisement est estimé entre 1500 et 2000 hectares par an.
Quelles sont les causes de cette dégradation et les menaces qui pèsent sur les forêts guinéennes ?
La coupe abusive de nos forêts pour des bois d’œuvre et des bois de service, nous avons le défrichement agricole. Les gens pénètrent dans les forêts pour faire des plantations et des champs. Surtout en Guinée, nous faisons face à l’agriculture sur brûlis. Il faut mécaniser l’agriculture, surtout l’aménagement des plaines. On a assez de plaines rizicoles le long de nos grands fleuves mais, malheureusement, beaucoup de plaines qui existent au niveau des fleuves ne sont pas bien aménagées. Il s’agit d’aménager ces plaines où il n’y a pas d’arbres, responsabiliser nos communautés, c’est-à-dire les communautés doivent être responsables de leurs forêts, en ce moment, on ne peut pas donner une licence sans consulter les communautés qui vivent à côté de ces forêts. A tous ces effets, s’ajoute l’action du changement climatique, le changement climatique occasion l’assèchement des terres, la baisse de pluviométrie, l’augmentation de la température, tout cela exacerbe les feux de brousse.
Quelle est l’importance de la forêt dans la vie de l’homme ?
La forêt a une importance incommensurable. Elle a quatre grandes valeurs : écologique, économique, culturelle et biologique). Comme valeur écologique, nous parlons beaucoup du changement climatique qui est dû à la concentration des gaz à effet de serre dans le pays dont le gaz carbonique qui représente plus de 80 % des gaz à effet de serre. La journée, les arbres rejettent l’oxygène et absorbe le CO2. C’est l’oxygène qui est rejeté qui purifie nos poumons. Le CO2 constitue le principal gaz à effet de serre qui occasionne la chaleur, le changement climatique, les plantes participent à la séquestration de ce gaz nuisible. C’est l’effet de changement climatique. Les plantes favorisent la stabilisation du sol, il y a des grands vents qui viennent, si les arbres sont là ça va atténuer la vitesse du vent. Sur le plan écologique, la forêt est très importante, elle contribue aussi à l’enrichissement des sols, les feuilles qui tombent sont décomposées par le micro-organisme qui enrichit le sol. Sur le plan économique, la transformation et la commercialisation. Aussi 80 % des populations en campagne, n’y a pas de gaz et courant dont le bois constitue la principale source d’énergie, sur le plan biologique, les forêts constituent un habit important pour la faune. Une autre fonction c’est surtout le rôle dans la santé de nos populations. Les centres de santé n’existent pas. Partout, même s’ils existent, les médicaments se font rares. 80 à 85 % de nos communautés rurales utilisent les plantes médicinales pour se soigner.
Que faut-il faire pour revaloriser nos forêts ?
Au temps colonial, la Guinée était un pays vert parce qu’il y avait des sanctions contre ceux qui se livraient à la dégradation de l’environnement. Quand le feu se déclare dans un village, c’est le chef de village lui-même qui va répondre. Chacun se bat pour découvrir l’auteur du crime parce que c’était considéré comme un crime environnemental. Il faut que les textes en lien avec l’environnement soient appliqués, mais surtout sanctionner. Aussi, au temps de la première République, il y avait une loi qu’on appelle la loi Fria, c’est-à-dire quand il y a un évènement, vous plantez un arbre. Cette belle initiative a été abandonnée. Si on peut faire renaître la loi Fria, c’est une bonne chose.
Entretien réalisé par Ibrahima Camara pour siaminfos.com