Kemo Mali Fofana, administrateur scolaire, rencontré par l’un de nos reporters estime que la suppression du Certificat d’études élémentaires (CEE) est une nécessité économique mais aussi pédagogique. Dans cet entretien qu’il a accordé à notre rédaction, il fonde son explication sur plusieurs facteurs.
D’entrée, il soutient que cet examen est « budgétivore avec beaucoup de conséquences. Les conséquences à la fois pédagogiques, mais aussi des conséquences économiques. Et lorsque nous prenons la Guinée, nous savons que le système éducatif est au cœur de plusieurs difficultés, parmi lesquelles nous pouvons rappeler d’ailleurs le problème qui revient toujours, qui n’est autre que la disparité. Il vous souviendra à l’esprit que nous avons un problème de disparité d’abord au niveau des concessions scolaires. Vous prenez la capitale, qui est Conakry, contrairement aux 33 autres préfectures du pays, quand vous regardez en termes d’infrastructures en qualité et en quantité, vous verrez que la plupart des meilleures infrastructures se trouvent au niveau de la capitale. À l’intérieur, nous sommes à plus de 1 000 écoles hangars. C’est-à-dire des écoles à travers lesquelles les enfants suivent les cours en étant assis, même parfois au sol. Et cela doit écœurer tout le monde », se lamente notre interlocuteur avant de poursuivre :
« Autre disparité, c’est la disparité liée aux résultats. Quand vous prenez les 80% des lauréats ou des meilleurs résultats en termes de performances, les 80% aussi de ces résultats viennent toujours de la capitale. Cela ne fait pas fausse route dans la mesure où, si les meilleures infrastructures se trouvent ici, les grands enseignants également se trouvent à Conakry, cela va impacter aussi les résultats. Il faut retenir que cette année, nous sommes à plus de 593 000 candidats, pour les trois examens. Les trois examens, je parle du Certificat d’études élémentaires, le Brevet d’études du premier cycle et le baccalauréat unique. Mais quand vous prenez les 593 000, vous verrez par exemple que plus de 330 000 se trouvent au niveau du cycle élémentaire. Ce qui revient à dire que le cycle élémentaire absorbe les 55 % de ces statistiques globales qui concernent les trois examens. Donc, il faut aller sur la base d’un calcul simple. On parle de 3719 centres. Donc, si vous prenez les 3 719 centres, les 55 % vont représenter exactement 2 044 centres, rien que pour le Certificat d’études élémentaires. Alors, prenons un ratio par exemple par centre de 15 salles. Les 15 salles vont donner obligatoirement 30 surveillants. Ça veut dire que dans chaque salle, il faut mettre deux surveillants. Et au niveau du chapeau, vous avez quasiment trois, vous avez le délégué, vous avez le chef du centre et vous avez le secrétaire. Alors, vous prenez le chapeau, trois multipliés par 2 044, vous prenez aussi 30 multipliés par 2 044. On va se retrouver à beaucoup de milliards. Donc, les 55 %, imaginez si le budget se trouve déjà à 45 milliards.Vous verrez que les 55 % du budget sont absorbés par le Certificat d’études élémentaires. Et pour quel diplôme ? Qui sert à quoi ? La grosse interrogation se pose. Quelle est l’entreprise qui vient en Guinée et qui demande aux enfants, présentez-nous votre Certificat d’études élémentaires. Il n’y a aucune entreprise qui demande. Donc, la question qu’il faille se poser, ce diplôme sert à quoi ? », s’interroge Kemo Mali Fofana avant d’indiquer plus loin :
« Alors, lorsque vous récalez les élèves qui sont au niveau de cette phase terminale pour le cycle primaire, ils sont récalés, ça crée ce qu’on appelle la déperdition scolaire. Quand il y a cette déperdition scolaire, la quasi-totalité se retrouve aussi avec un taux d’abandon scolaire très élevé. C’est pourquoi lorsque vous prenez l’intérieur, quasiment dans les zones hautement minières, vous verrez que la plupart des élèves par exemple qui échouent au certificat d’études élémentaires, ils abandonnent. C’est-à-dire les 1 sur 3 élèves qui échouent, ils abandonnent. Alors ça, ça devient un coup dur pour non seulement l’État guinéen qui perd ses enfants, la société qui perd également les mêmes enfants et même les différentes familles respectives. Parce qu’à l’intérieur, il y a certains qui peuvent rester jusqu’à 16 ans, ils sont encore aux primaires. Donc ça, c’est un élément. L’autre élément, lorsque vous devez soumettre les enfants à un examen budgétivore, mais au-delà, qui est caractérisé par assez de pressions. Premièrement, la pression sociale. Deuxièmement, la pression de l’État.Troisièmement, la pression de la famille. Quatrièmement, la pression même des voisins. Et cinquièmement, la pression des acolytes. L’enfant se trouve au cœur des pressions. S’il doit être soumis à un examen standardisé, en quoi cela peut être l’élément justificatif pour mesurer le progrès ? Ça n’explique nullement pas. Donc, d’ailleurs, dans les pays qui ont les plus grands systèmes éducatifs au monde, quand vous prenez, par exemple, le système finlandais, ça n’a rien à voir avec le système éducatif français. Le système éducatif finlandais soumet l’enfant au centre de l’apprentissage et il est soumis à un régime qu’on appelle évaluation continue. C’est-à-dire, à chaque niveau, l’enfant est permanemment évalué. Donc, les conditions sont aussi créées pour permettre de faciliter son épanouissement. Alors, moi, je pense que si l’État guinéen prenait, par exemple, ce budget alloué à la gestion, à l’organisation d’abord de la conception des épreuves, en passant par leur émission, la gestion des centres, la correction des copies, la supervision, jusqu’à la publication des résultats, le budget-là, si on le prend, par exemple, on essaie de régler les préalables. Préalables, qu’est-ce que je veux dire ? C’est-à-dire, on met assez de tonus par rapport à l’enseignement-apprentissage, en recrutant suffisamment d’enseignants en quantité et en qualité. Avant, il y avait des enseignants qu’on appelait les enseignants communautaires, payés par la communauté. Il y avait certains qui étaient payés à 1 million, d’autres à 1,5 million. Même si vous prenez la communauté, par exemple, où l’État joue ce rôle à la place de la communauté, en payant un enseignant à 2 500,000 vous prenez, par exemple, trois écoles par région, chaque année, une école, donc ça fait une école pour six classes, ça va nous faire six enseignants fois trois, ça nous donne dix-huit. Donc dix-huit enseignants, vous multipliez ça par les huit régions, vous verrez qu’on ne va même pas atteindre cinq milliards », insiste notre interlocuteur.
Ibrahima CAMARA pour Siaminfos.com
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