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Le suicid£, « fait social qui découle de la désintégration » : tout savoir sur les causes de ce phénomène avec le Sociologue Lamine Camara (interview)

Ces derniers temps, les cas de suicide sont devenus fréquents en Guinée. Pas plus tard que le 05 janvier dernier, l’ancien maire de Dabiss, une commune rurale relevant de la préfecture de Boké, s’est donné la mort par pendaison. Jeunes, adultes ou personnes âgées, aucune tranche d’âge ne semble être à l’abri de ce phénomène. Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction ce mardi, 10 janvier 2023, Lamine Camara, sociologue de formation et vice-doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines à l’Université Koffi Annan de Guinée, aborde entre autres la gènese du suicide et les solutions pour y remédier.

Siaminfos.com : Quelles explications sociologiques pouvez-vous donner par rapport à la genèse du phénomène de suicide ?

Lamine Camara : Le suicide pendant longtemps, a été considéré comme un fait isolé. On a même pensé que ne se suicide que quelqu’un qui est un déréglé mental, qui a un problème psychique. Donc, c’était un problème individuel. Mais après la révolution française et celle industrielle, on a compris que le phénomène devenait de plus en plus récurrent. Or, quand un fait social devient de plus en plus récurrent, il faut trouver la cause dans un domaine social. C’est-à-dire, la cause d’un phénomène social doit être dans un autre fait social. C’est à partir de là qu’il y a eu des réflexions sociologiques notamment Emil Durkheim qui s’est beaucoup intéressé au phénomène de suicide et qui a comparé deux entités religieuses. C’est-à-dire, chez les pratiquants au niveau de la religion catholique et celle protestante.

Il a compris que là où il y a la cohésion sociale, l’entraide, il y a peu de suicide, c’est-à-dire chez les catholiques. Au contraire, chez les protestants, où il n’y avait pas la cohésion sociale, il avait trouvé que le suicide devenait de plus en plus important. Donc, il a considéré que le suicide est un fait social qui découle d’un déséquilibre, de manque de cohésion au niveau de la société. Donc, hier, le suicide était considéré comme un fait isolé et individuel, mais aussi, sociologiquement parlant, le suicide un fait social, qui découle de la désintégration, le manque de cohésion, de déséquilibre sur le plan social.

Qu’est-ce-qui pousse aujourd’hui les individus à se livrer au suicide ?

Il y a plusieurs causes de suicide. Actuellement, en Guinée, on a dans les couples, plusieurs cas de suicide. Ce que les juristes appellent couramment crime par passion. Mais quand vous rentrez en profondeur, vous allez comprendre qu’au niveau de ces couples là, souvent c’est des mariages qui n’ont pas été faits sur une base consensuelle, c’est-à-dire les mariages forcés. Soit la femme a été obligée d’épouser quelqu’un qu’elle n’aime ou c’est vice-versa. Donc, la cause de ces cas de suicide est purement sociale.

On est en Guinée aujourd’hui, on pense qu’on doit continuer à vivre comme il y a cinquante ans. Pourtant, les mentalités changent. Comme on le dit, le fait social est évolutif. On a des enfants aujourd’hui, qui ne sont pas forcément éduqués par nous, mais par quelqu’un d’autre qui se trouve à des centaines de mètres. Traditionnellement, en Afrique, il y a beaucoup d’intervenants dans le mariage. Et ces intervenants là, c’est pour donner une certaine garantie. Aujourd’hui, c’est deux individus qui se rencontrent et qui mettent les parents devant les faits accomplis. Dès qu’il y a un petit problème, il y a plus d’intervenants. Non seulement le taux de divorce devient plus élevé, mais les problèmes dans les couples deviennent de plus en plus difficiles à gérer sociologiquement parlant.

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Que faut-il faire aujourd’hui pour combattre le phénomène de suicide devenu récurent ces derniers temps en Guinée ?

Si nous constatons aujourd’hui qu’il y a trop de suicides, ça veut dire qu’on doit revoir notre façon de faire. Bien-sûr, ça veut dire que nous devons revoir aujourd’hui notre système éducatif. Aujourd’hui, vous vivez avec un enfant, en pensant que vous êtes en train de l’éduquer seul. Mais cet enfant se connecte, il est éduqué à travers d’autres valeurs, par quelqu’un qui se trouve à des milliers de centaines de kilomètres de lui. Un enfant qui a les possibilités aujourd’hui d’aller sur les réseaux sociaux, il regarde comment ça se passe ailleurs, il devient exigent et se compare avec les amis qui sont ailleurs. Il pense que ceux qui sont en France, en Angleterre, qui sont ses camarades d’âge, voilà comment ils sont entretenus, il doit pouvoir avoir les mêmes entretiens. Ça devient un problème d’autorité parentale […] Souvent, ça se termine par des cas de crimes que les juristes appellent crime par passion et que nous nous appelons le suicide qui est un fait social aujourd’hui.

La première autorité pour l’éducation et l’émancipation d’un enfant, c’est l’autorité parentale. A un certain moment, on n’a pas besoin de savoir qui est ministre ou Président […] En Afrique, on est façonné par ce qu’on a reçu des valeurs. On peut être adulte sans bénéficier de ces valeurs là et on devient individu. Sociologiquement parlant, on est d’abord être biologique avant d’être social. Être social ça veut dire que j’ai accepté quel que soit mon âge, les exigences de la vie en famille. Donc, vous avez de plus en plus de jeunes gens qui sont dans une forme de déviance, c’est-à-dire qui transgressent les normes dictées par la famille et qui deviennent des adultes ou des vielles personnes qui sont dans la déviance. Ils n’ont aucun repère en matière des valeurs ancestrales. Je parle de la quintessence de nos valeurs qui nous distinguent des autres et c’est ce qui marque aujourd’hui.

 

Interview réalisée par Mohamed Lamine Souaré pour siaminfos.com

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